RSA : une allocation est actuellement soumise à des pressions importantes

Dans 18 territoires, le RSA va être conditionné à la réalisation de 15 à 20 heures d’activité par semaine, avant une généralisation en 2024. Un cran supplémentaire dans l’injonction à l’emploi faite aux allocataires de ce minimum social au montant toujours très faible.

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La mesure d’imposer une activité hebdomadaire de 15 à 20 heures pour recevoir le RSA a été proposée depuis un certain temps. Le rapport de préfiguration de France Travail, qui deviendra le futur Pôle emploi, l’a confirmé en avril. Bien que 18 départements aient commencé à l’expérimenter, il est déjà connu que cette mesure sera étendue à toute la France.

« Avec cette réforme, le gouvernement glisse de plus en plus d’un droit à l’emploi vers une obligation de travailler », avait mis en garde la CGT en janvier.

« A l’issue de ce rapport, on n’en [sait] guère plus sur le contenu réel de l’offre de services autour des 15 à 20 heures d’activité », a réagi l’association ATD Quart Monde, favorable, comme les autres associations de lutte contre la pauvreté, à un revenu minimal inconditionnel.

« Il n’a jamais été question ni de travail gratuit, ni de bénévolat obligatoire », s’est défendu le ministre du Travail Olivier Dussopt dès l’automne.

Concrètement, il s’agira, selon le haut-commissaire à l’emploi et à l’engagement des entreprises, Thibaut Guilluy, auteur du rapport, « d’immersions d’entreprises [sic], de formation, passer le permis de conduire, faire du bénévolat dans une association… tout ce qui contribue à faire en sorte que la personne reprenne confiance en elle, qu’elle se forme et qu’elle retrouve un emploi ».

La France utilise-t-elle le « workfare » à l’américaine, qui oblige les bénéficiaires de l’aide sociale à travailler pour recevoir leur allocation ? Le département de Seine-Saint-Denis avait accepté de participer à l’expérimentation, mais s’est finalement retiré fin mars.

« La goutte d’eau a été le discours présidentiel [du 22 mars], quand Emmanuel Macron a déclaré qu’il souhaitait « aller chercher ces bénéficiaires et les responsabiliser ». Pour nous, c’est inacceptable, car le RSA est un droit social fondamental », a souligné le président du conseil départemental, Stéphane Troussel.

Le haut-commissaire Thibaut Guilluy a répondu que la décision ne sera pas automatique et qu’il appartiendra au président du conseil départemental de prendre la décision finale.

La nature automatique de la sanction serait un coup de tonnerre. Avec l’ambiguïté actuelle, la réforme constitue principalement une étape supplémentaire vers une tendance de long terme : l’exigence d’un emploi pour les bénéficiaires du RSA. Depuis leur mise en place dans les années 1990, les politiques d’insertion ont mis l’accent sur la responsabilité individuelle.

« Très vite, on est passé du droit à un revenu minimal garanti par la collectivité et inscrit au préambule de la Constitution de 1946 à une incitation à travailler », résume l’économiste Anne Eydoux.

RSA : Pression inutile

Au cours des années 1990 puis 2000, les différents types de soutien social ont été associés à de telles incitations. Depuis la transformation du RMI (revenu minimum d’insertion) en RSA (revenu de solidarité active) en 2009, cette prestation est devenue complexe à obtenir, en particulier lorsqu’elle est combinée à de petits revenus.

Son attribution fait déjà l’objet de contrôles et de sanctions (réduction ou suspension) en cas de non-respect des démarches d’insertion professionnelle ou sociale. Certains départements ont été plus loin. En 2016, le Haut-Rhin a voté l’obligation de sept heures de bénévolat par semaine pour les bénéficiaires du RSA. Le principe a été très contesté et a finalement été validé par la justice après quatre ans.

Cependant, la pression mise sur les bénéficiaires ne produit pas les effets escomptés, comme l’a montré une récente étude. « Les contrôles des bénéficiaires du RSA ne sont pas très efficaces », explique Yannick L’Horty, l’un des co-auteurs de l’étude.

L’envoi de courriers rappelant aux bénéficiaires leurs obligations sous menace de suspension ou de radiation de leurs droits n’a pas beaucoup d’effet sur le respect de leur contrat.

« Ces messages d’avertissement conduisent en réalité à des sorties du RSA, sans que l’on sache si les personnes concernées ont retrouvé un emploi. S’il n’est pas exclu que ce soit le cas pour certains profils moins en difficulté, pour d’autres, la radiation les oblige à se réinscrire et donc à reprendre de zéro leur parcours d’insertion », poursuit le chercheur.

De nombreux bénéficiaires souhaitent être mieux accompagnés, mais il n’est pas nécessaire d’ajouter une obligation d’activité. En effet, « les politiques d’insertion agissent à la marge », selon les propos d’Anne Eydoux, et ce sont les créations d’emplois qui ont réellement un impact sur le chômage.

Pénurie de main-d’œuvre

Un rapport de Thibaut Guilluy souligne un paradoxe difficilement compréhensible pour les citoyens : d’un côté, il y a de nombreuses personnes sans emploi ; de l’autre, il y a des entreprises qui ont du mal à recruter. Le chiffre de trois millions d’intentions d’embauche en 2023 ne peut toutefois pas être comparé aux 2,8 millions de chômeurs de catégorie A et aux 1,8 million de foyers percevant le RSA. Il n’y a pas de correspondance directe entre les intentions d’embauche et les créations nettes d’emplois.

En 2022, il y a eu trois millions de déclarations d’embauche et 300 000 emplois salariés ont été créés dans le secteur privé. Les emplois disponibles sont soit qualifiés (comme couvreurs-zingueurs qualifiés ou pharmaciens), soit correspondent à des conditions de travail difficiles (comme cuisinier, serveur, aide ménagère, manutentionnaire…). Il n’est pas évident de trouver une correspondance entre les chômeurs de longue durée et les allocataires du RSA, d’une part, et les emplois non pourvus, d’autre part.

Le RSA représente un socle de revenus pour 1,8 million de foyers, soit près de 4 millions de personnes avec les conjoints et enfants, pour une dépense publique de 15 milliards d’euros (prime d’activité et accompagnement compris). Cela représente 7 000 euros par ménage et par an, ce qui en fait l’une des aides publiques les moins coûteuses par rapport à son impact social, selon les chercheurs Yannick L’Horty, Rémi Le Gall et Sylvain Chareyron en 2022.

Cependant, le montant de l’allocation reste très insuffisant pour vivre, allant de 607 euros pour une personne seule à 1 519 euros pour un couple avec trois enfants, avec un taux de non-recours de plus de 30 %. Pour remédier à cette situation, il faudrait créer des emplois décents, non qualifiés et de proximité, comme le programme Zéro Chômeur de Longue Durée. Cela impliquerait de dépenser beaucoup plus, et pas dans la direction prise par le gouvernement.